D’abord associée à l’univers du jeu vidéo, la réalité virtuelle (VR) est en voie de devenir un outil de formation incontournable dans certains domaines, dont ceux de la médecine et de la paramédecine. Ses atouts sont d’ailleurs bonifiés par le fait qu’elle a évolué à vitesse grand V ces dernières années sur les plans de la performance et de l’ergonomie, tout en devenant plus accessible. Afin de respecter le principe éthique « jamais une première fois sur le patient », la simulation sous diverses formes fait partie intégrante depuis plusieurs décennies de la formation des professionnels de la santé en Amérique du Nord. La VR apparaît comme étant la technologie de l’avenir par excellence pour assurer l’acquisition d’un large éventail d’apprentissages pratiques et expérientiels nécessaires à la formation initiale et continue de ces professionnels. Voici ce qu’il faut savoir pour mieux saisir son potentiel pour la formation médicale d’aujourd’hui et de demain.
Qu’est-ce que la simulation en santé?
Le terme simulation dans le domaine de la santé correspond à « l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soin, dans le but d’enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et de répéter des processus, des concepts médicaux ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels ».
Chambre des représentants USA, 111th congress 02-2009
Dans leur ouvrage Apprendre avec le numérique (2020), Frank Amadieu et André Tricot notent certains atouts considérables et moins connus de la simulation pour la formation médicale : « L’avantage des simulateurs en formation médicale ne réside pas que dans la baisse des coûts (humains). Ils permettent de mieux planifier la formation et les objectifs, la progression et les tâches. La progression, en particulier, présente un intérêt majeur : avec un simulateur, on peut commencer par ce qui est simple — voire simplifier la situation — pour accéder ensuite à la complexité. Avec un patient, la complexité est d’emblée présente. Par exemple, en réanimation, la complexité de la situation d’apprentissage est fortement liée aux émotions, notamment celles liées au décès du patient. [voir Fraser K. et al., 2014] »
En quoi consiste la sécurité du patient?
Le Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada, qui est l’association professionnelle nationale qui supervise la formation médicale des spécialistes au pays, est aussi l’organisme qui accrédite les programmes de simulation. Dans son document sur l’agrément des programmes de simulation, le Collège royal définit la sécurité des patients comme « la réduction et l’atténuation des effets des actes dangereux posés dans le système de soins de santé et l’utilisation de pratiques exemplaires éprouvées pour lesquelles on a obtenu des résultats optimaux pour le patient. La gestion du risque dans le contexte des soins cliniques se rapporte aux activités entreprises en vue de déterminer, d’analyser, d’informer et de structurer des processus afin de réduire la probabilité que surviennent des événements négatifs. » Le Collège royal précise également qu’en tant que professionnels, les médecins ont le devoir de promouvoir et de protéger la santé et le bien-être d’autrui, tant sur le plan individuel que collectif.
Une technologie de formation unique
La réalité virtuelle est cette fascinante technologie qui permet à l’utilisateur de s’immerger dans un monde de synthèse dynamique et adaptatif en 3D à 360 degrés dans lequel il peut se déplacer et interagir en bénéficiant d’un retour tactile et sensoriel; tout cela en étant simplement muni d’un visiocasque et de gants haptiques ou de manettes. La VR permet de créer des univers réalistes ou non, et d’y intégrer des scénarios sur mesure. C’est grâce à l’intelligence artificielle (voir Mini glossaire de l’intelligence artificielle) que la VR peut avoir cet aspect adaptatif et prédictif, plus personnalisé et plus vivant. Dans Le traité de la réalité virtuelle (Fuchs et al.), ses auteurs précisent que la VR « peut se définir selon deux principaux ressorts : technologique (l’ensemble des outils permettant l’expérience), et individuel (la construction subjective de l’expérience) ». Le premier ressort est l’immersion et le second, la présence (terme raccourci de « téléprésence »). Cette dernière peut se définir comme la sensation d’être présent physiquement dans l’environnement virtuel, de percevoir celui-ci comme réel et d’oublier la technologie qui lui donne vie et le monde réel sous-jacent. L’International Society for Presence Research, qui est une organisation à but non lucratif fondée pour soutenir la recherche universitaire liée au concept de (télé)présence, définit la présence comme « l’illusion perceptuelle de la non-médiation » : ce qui caractérise le sentiment de présence à distance, c’est en premier lieu la capacité à oublier le rôle de médiation que remplit la technologie, qui est alors soit invisible pour l’utilisateur, soit transformée en entité sociale (Lombard et Ditton, 1997). Enfin, précisons que la présence favorise l’immersion.
De toutes les technologies qui peuvent servir des fonctions « semblables » — soit des technologies de simulation médicale à haute-fidélité —, c’est de loin la plus puissante pour convaincre le cerveau de l’utilisateur qu’il se trouve bel et bien dans un univers en soi, et pour générer des sensations et des émotions d’une intensité de celles ressenties en contexte réel. Dans un récent article éditorial (juin 2022) du journal Frontiers portant sur les technologies immersives dans les soins de santé, les trois auteurs résument quelques constats d’études intéressants sur le réalisme dans les formations de simulation en soins de santé :
« Il a été suggéré que la fidélité de la simulation pourrait avoir un impact sur les compétences cognitives et cliniques des prestataires de soins de santé interagissant avec la simulation (Lasater, 2007 ; Lee et Oh, 2015). Un niveau élevé de fidélité et de réalisme est associé à un apprentissage efficace (Barry Issenberg et al., 2005) et est exigé par le National Council State Boards of Nursing (National Council of State Boards of Nursing et National Council of State Boards of Nursing, 2009). Plus le réalisme est proche de la réalité clinique, plus il est facile pour les participants de s’engager dans le scénario de simulation (Dieckmann et al., 2007). Les différents aspects de ces simulations ont leurs propres fidélités, notamment les installations, la méthodologie clinique et les patients. L’aspect patient englobe la représentation des interactions avec un patient, en tout ou en partie, comme la communication ou la réalisation d’une procédure sur un patient, et prend en compte la fidélité de l’apparence, de l’anatomie et de la physiologie (Tun et al., 2015). Dans ce sujet de recherche, Carnell et al. ont évalué la fidélité de l’interaction du patient virtuel avec des apprenants ayant des compétences avancées en communication, et ont constaté que le niveau des apprenants affecte le choix de l’interface.»
À des fins de formation, la VR offre la possibilité de recréer une grande variété d’environnements professionnels et de tâches auxquelles les apprenants peuvent s’exercer en toute sécurité et à l’abri du jugement d’autrui jusqu’à leur parfaite maîtrise. Elle est idéale pour s’entraîner à développer des compétences exigées dans des milieux complexes à reproduire, éloignés ou qui comportent un certain degré de dangerosité. L’industrie de l’aviation, qui recourt à la simulation en VR depuis plusieurs décennies, a évalué que celle-ci a réduit de près de 50 % les accidents d’avion liés à des erreurs humaines depuis les années 1970. Dans cette même industrie, la compagnie Boeing a intégré la formation par VR (ainsi que par réalité augmentée) en ayant évalué que cette approche permettrait de réduire de l’ordre de 75 % le temps de formation par employé. La vice-présidente des solutions éducatives mondiales à l’Institut Johnson & Johnson affirme pour sa part que dans le cadre d’une étude indépendante menée par l’Imperial College de Londres, 83 % des chirurgiens qui s’étaient entraînés avec leur formation par VR ont pu ensuite réaliser avec succès l’opération réelle avec un minimum de conseils, alors que dans le groupe contrôle ayant reçu une formation traditionnelle, 0 % des chirurgiens ont pu réussir l’opération sans aide. Sur une autre note, les possibilités de ludification qu’offre la VR sont non négligeables, alors que l’on sait aujourd’hui que les vertus du jeu pour l’apprentissage sont à prendre au sérieux même chez les adultes (voir S’amuser en enseignement supérieur, une voie d’avenir? et Apprenants adultes et jeu: 5 constats de recherche).
Grâce à sa fonction multijoueurs, la VR ouvre la porte à l’apprentissage par les pairs et au travail d’équipe, alors que plusieurs utilisateurs peuvent se réunir dans un même univers virtuel, y interagir entre eux et avec l’environnement. Mentionnons qu’avec cette fonctionnalité qui abolit les frontières, un apprenant peut être supervisé par une sommité qui se trouve n’importe où ailleurs sur la planète, ou encore se joindre au groupe d’une université éloignée pour se perfectionner dans une nouvelle approche. Cet atout de la réalité virtuelle laisse envisager pour l’avenir toutes sortes de collaborations et de partages des meilleures pratiques en formation médicale à l’échelle internationale, ce qui signifie aussi une plus grande démocratisation de l’accès à un tel enseignement. Ajoutons que cet avantage est aussi valable pour la recherche médicale, alors que certaines expérimentations qui devraient normalement être réalisées dans un même environnement physique peuvent désormais se faire en collaboration à distance.
En disposant de cette technologie, les institutions d’enseignement ont la possibilité d’offrir sur demande à un grand nombre d’apprenants des formations basées sur l’expérience empirique qui sont standardisées. Par ailleurs, si l’équipement de VR demeure coûteux — bien qu’il soit de plus en plus accessible —, il peut représenter un investissement avantageux par rapport aux autres ressources nécessaires pour assurer une formation par simulation de qualité (divers appareils technologiques, lieux physiques, personnel enseignant, intervenants pour la conception de mises en situation, etc.). Cette technologie répond aussi aux besoins de flexibilité et d’autonomie des apprenants d’aujourd’hui, en leur donnant accès à un apprentissage à distance hypersophistiqué qui ne requière que peu de temps d’installation et d’espace de pratique. De plus, puisque l’équipement est portatif, il peut s’utiliser n’importe où et à n’importe quel moment, ce qui est avantageux non seulement sur le plan de la praticité, mais aussi de l’apprentissage puisque l’utilisateur peut échelonner son entraînement de manière optimale (voir Neurosciences : 3 erreurs à éviter lorsqu’on étudie). Soulignons enfin qu’avec les nouvelles réalités engendrées par la pandémie de COVID-19, les institutions d’enseignement ne peuvent plus repousser leur entrée dans l’ère du numérique et, par conséquent, la VR devient un choix judicieux dans lequel investir à long terme.
Sa pertinence en formation médicale
L’intégration de la réalité virtuelle en formation médicale n’a pas pour but de remplacer la partie d’enseignement théorique donné en classe, ni de prendre la place l’enseignant expert lorsque sa supervision est souhaitable. En ce qui concerne le volet de simulation, il faut souligner que certains objectifs pédagogiques sont mieux servis en contexte réel et que d’autres ne requièrent pas d’immersion dans une mise en situation complexe. Cela dit, de manière générale, alors l’apprentissage pratique tend à remplacer le par cœur (lorsque cela est possible), l’enseignement de certaines notions gagnerait à être transféré en réalité virtuelle. C’est le cas, par exemple, des leçons d’anatomie, que cette technologie peut présenter d’une manière beaucoup plus précise, globalisante et attrayante que ne peuvent le faire les supports plus conventionnels. Ainsi, plutôt que de devoir apprendre en observant une image en deux dimensions, la VR permet à l’apprenant d’explorer à sa guise les différentes parties du corps humain en 3D et de voir les processus métaboliques en action. Précisons que ce sont des programmes informatiques très performants qui permettent d’obtenir des images en 3D précises en fusionnant les résultats d’images en deux dimensions d’appareils à IRM, d’échographies et de tomodensitogrammes. Il est même possible de recréer en réalité virtuelle le « jumeau numérique » d’un patient, à partir de ses résultats d’imagerie et de ses données cliniques.
Parmi les grandes forces de la VR pour la formation médicale, il y a le fait qu’elle offre des conditions optimales pour maximiser la compétence des praticiens, sans mettre en jeu la sécurité de patients. Rappelons que c’est en s’exerçant que l’on apprend le mieux et que le droit à l’erreur est fondamental dans ce processus (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps). Cette technologie représente en ce sens un terrain de jeu idéal : elle permet non seulement à l’apprenant de se tromper et de s’exercer tant et aussi longtemps que nécessaire pour maîtriser une compétence et développer de bons réflexes, mais elle le corrige aussi en profondeur en temps réel. Grâce aux neurosciences, on sait désormais que cette rétroaction immédiate, ce retour sur l’erreur, est une étape cruciale pour un apprentissage efficace. De plus, la VR a l’avantage de récolter des données sur les comportements et les performances des utilisateurs, ce qui permet d’ajuster et de personnaliser les formations avec une grande précision. Point important à souligner : cette fonction est également pertinente pour évaluer les compétences d’un futur praticien ou pour revalider celles d’un praticien. La VR peut donc aussi servir dans les processus de certification, de recertification et d’embauche.
La réalité virtuelle est tout indiquée pour apprendre à maîtriser des gestes techniques comme certaines procédures chirurgicales ainsi que pour apprendre à manipuler divers outils et dispositifs médicaux. Elle est donc aussi fort utile pour permettre aux praticiens de se familiariser avec de nouveaux équipements ou d’intégrer de nouvelles techniques de soin.
Voici quelques exemples de dispositifs de formation par VR que nous avons développés pour l’utilisation d’outils et de dispositifs médicaux. Notez que ces exemples sont des prototypes et qu’ils peuvent être personnalisés selon les besoins.
La VR se prête également au développement de compétences non techniques, qui sont aussi primordiales dans les interventions diagnostiques et thérapeutiques. À cette fin, il est possible de recréer différents environnements de soins ainsi qu’un éventail de situations dans lesquels les professionnels de la santé sont appelés à intervenir. On peut, par exemple, recréer une salle de soins virtuelle dans laquelle l’apprenant devra interagir avec plusieurs avatars — patients, collègues, famille des patients — dans des scénarios où l’activité et le rythme typiques d’un hôpital sont aussi reproduits. Ce genre d’exercice vise à aiguiser le raisonnement clinique de l’apprenant, de même que ses compétences relationnelles, ses aptitudes en communication, sa pensée critique et sa capacité à prendre des décisions, tout en lui permettant de mieux gérer son stress et d’augmenter sa confiance en soi dans de tels contextes. Une telle formation permet donc à l’apprenant de s’exercer dans toutes les étapes de sa future pratique : il peut questionner son patient sur sa situation, l’évaluer, poser un diagnostic puis le traiter.
Enfin, soulignons qu’en permettant aussi à l’apprenant d’endosser le rôle d’un autre avatar — celui d’un patient, d’un membre de la famille de ce dernier ou d’un collègue —, la VR peut l’aider à développer plus d’empathie vis-à-vis de ceux qu’il côtoie dans son milieu professionnel, donc d’avoir une meilleure compréhension des enjeux qu’ils vivent. Il faut savoir que l’empathie est de plus en plus considérée en médecine comme une compétence de communication qui devrait être au cœur de la relation patient-médecin (Empathy, Education and Interpersonal Engagment du Dr Edward G. Spilg de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa). Plusieurs études ont d’ailleurs mis au jour de nombreux bienfaits à l’amélioration de l’empathie chez les praticiens, dont : une meilleure compétence clinique (Hojat et al., 2002); une amélioration de la satisfaction des patients (Blatt et al., 2010 ; Reiss et al., 2012 ; Krasner et al., 2009); des résultats de santé plus favorables (Derksen et al., 2013); une meilleure adhésion des patients aux recommandations médicales (Hojat et al.,2011); une réduction du risque médico-légal (Levinson et al., 1997, Moore et al., 2000); ainsi qu’une réduction des coûts des soins de santé (Epstein et al, 2005). Des bienfaits ont aussi été observés chez les médecins eux-mêmes, alors que le fait de manifester de l’empathie envers leurs patients peut les aider à avoir une meilleure régulation émotionnelle; comme l’ont noté Decety et Meyer (2008), les personnes qui peuvent réguler leurs propres réponses affectives pour maintenir un niveau optimal d’éveil émotionnel ont plus de chances d’obtenir des résultats positifs et ont de plus grandes expressions de préoccupation empathique pour les autres. Manifester de l’empathie entraîne également une réduction de la dépersonnalisation et de l’épuisement professionnel (Thomas et al., 2007) de même qu’un sentiment de bien-être plus élevé (Shanafelt et al., 2005).
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À la fine pointe de la technologie, offrant les expériences d’apprentissages les plus réalistes, captivantes et personnalisées qui soient, la réalité virtuelle est un outil de formation hautement efficace parfaitement adapté aux réalités d’aujourd’hui et de demain de la profession médicale. Elle comporte non seulement des avantages indéniables pour les apprenants et les institutions d’enseignements, mais elle ouvre aussi la voie à une plus grande collaboration sans frontières, à davantage de partage des connaissances et à plus de démocratisation dans l’ensemble de la communauté médicale enseignante et apprenante partout sur la planète.
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Auteure:
Catherine Meilleur
Stratège en communication et Rédactrice en chef @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative
Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.
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