La réalité virtuelle (RV ou plus couramment VR) est cette technologie qui permet de s’immerger dans un environnement d’images de synthèses en 3 D. Coupé du monde réel, cet univers virtuel est un monde en soi dans lequel l’utilisateur peut interagir. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette technologie ne date pas d’hier. Sans revenir sur tous les jalons de son histoire, voici quelques moments marquants qui devraient vous permettre de mieux comprendre où elle en est à l’heure actuelle et ce qu’elle nous promet.
Du cinéma immersif au voyage virtuel
C’est dans les années 1960 que les bases de la VR sont jetées, alors que Morton Heilig conçoit le Sensorama, un cinéma immersif individuel qui sollicite les cinq sens, et qu’Ivan Sutherland crée le premier casque de VR fonctionnel, l’Ultimate Display HMD. Ce casque hyper-lourd était soutenu par un bras mécanique le fixant au-dessus de la tête de l’utilisateur, d’où son surnom d’« épée de Damoclès ».
Au cours de la décennie suivante, l’Aspen Movie Map, ancêtre du Google Earth VR, est mis au point, alors qu’un simulateur de vol immersif, le SuperCockpit, est en développement. Ce dernier, qui sera utilisé par l’armée américaine, inspire la NASA, qui crée en 1985 un casque de VR compatible avec les DataGlove, premiers gants virtuels, conçus par VPL Research. C’est d’ailleurs l’un des fondateurs de cette entreprise pionnière en VR, Jarron Lanier, qui a introduit le terme « réalité virtuelle ».
La VR entre dans l’univers du jeu vidéo en 1989, alors que la multinationale japonaise Nintendo présente son Power Glove. En 1993, c’est au tour du premier casque de VR dédié au jeu vidéo, le Sega VR, d’être commercialisé; précisons que celui-ci a été conçu comme accessoire pour la console de jeu Sega Genesis.
En 2007, Google lance Google Street View, une application disponible dans les logiciels Google Earth et Google Maps, qui permet de naviguer de façon virtuelle en visualisant des panoramas 360 degrés d’une grande précision et des bâtiments modélisés en 3 D.
Décennie 2010 : le renouveau de la VR
Après un creux de vague, la VR connaît un regain dans la décennie 2010. En 2012, la start-up Oculus VR collecte plus de 2 millions de dollars via Kickstarter — un record pour la plateforme de financement participatif — dans le but de développer l’Oculus Rift, un casque de VR « nouvelle génération ». En 2014, coup de théâtre : Facebook rachète Oculus et son casque, dont la version finale sera mise en marché deux ans plus tard, un mois avant la sortie du casque HTC Vive. L’Oculus Rift et le HTC Vive sont les deux premiers casques de VR haut de gamme destinés au grand public.
L’année 2014 est aussi marquée par la sortie du Google Cardboard, un casque (ou « masque ») de VR en carton pliable, très abordable, qui fonctionne en y insérant un téléphone intelligent muni de l’application Cardboard. Flairant l’impulsion du moment, d’autres géants du secteur des technologies entrent dans cette course à l’innovation. Dans la foulée, on voit se développer tant de la VR haut de gamme s’adressant à un marché de niche que de la VR d’entrée de gamme qui vise à conquérir le plus grand nombre. Si la sortie du Google Cardboard et sa campagne de marketing agressive — réalisée en collaboration avec le New York Times — ont participé à démocratiser la VR, plusieurs ont reproché à Google d’avoir propagé une image qui ne rend pas justice à l’expérience que cette technologie à son meilleur peut offrir. Précisons qu’avant la venue du Galaxy S8 de Samsung en 2017, les processeurs et écrans des téléphones intelligents n’étaient pas encore en mesure de procurer une expérience des plus satisfaisantes… ce qui n’a pas empêché, entre temps, les casques pour téléphones intelligents de se multiplier.
L’année 2018 marque un autre tournant dans le monde de la VR avec l’arrivée de casques « autonomes », plus sophistiqués que les casques pour téléphones intelligents, fonctionnant sans fil et ne requérant donc pas d’être branchés à un ordinateur (puissant et dispendieux!).
Innovations multiples
Parmi les autres avancées des dernières années, on note des améliorations du côté de la qualité de l’écran (haute résolution, image de qualité et fréquence de rafraîchissement élevée), de la précision du système de capture de mouvement (capteurs internes et externes au casque ainsi que la direction du regard sur l’écran), du champ de vision (plus grand dans certains cas), de la qualité du système audio, sans oublier du « degré de liberté » (ou DOF pour degrees of freedom) offert par les contrôleurs (manettes, télécommandes, etc.).
En fait, sur ce dernier point, il faut plutôt parler de « degrés de liberté » au pluriel, puisqu’on fait référence au nombre de mouvements différents captés par le système de VR. Ainsi, les contrôleurs d’un casque « DOF 3 » ou « 3 degrés de liberté » détectent les mouvements de la tête qui penche de droite à gauche, en avant ou en arrière, et qui tourne de gauche à droite; alors que ceux d’un casque « DOF 6 » ou « 6 degrés de liberté » détectent, en plus de ces trois mouvements de la tête, les trois mouvements du corps en rotation : déplacement vers l’avant ou l’arrière, de droite à gauche, et vers le bas ou vers le haut. Les premiers modèles grand public à proposer les 6 degrés de liberté ont été l’Oculus Rift et le HTC Vive en 2014. C’est toutefois l’Oculus Quest, dont la sortie est prévue ce printemps, qui sera le premier casque « DOF 6 » totalement autonome.
Réalité étendue : au-delà de la réalité virtuelle
On ne peut parler de VR sans dire un mot sur les technologies connexes que sont la réalité augmentée (RA ou plus couramment AR) et la réalité mixte (RM) qui, avec la VR, font partie de ce que l’on appelle la réalité étendue (ou XR pour Extended Reality).
Alors qu’avec la VR l’utilisateur est immergé dans un univers numérique, en AR le monde réel reste le cadre de référence, mais il est enrichi par des éléments virtuels qui s’y superposent : images, textes, objets, etc. Technologie sœur de la VR, la AR peut être expérimentée sur certains casques de VR (dits « hybrides »), mais aussi sur des casques ou des lunettes conçus pour elle, ou encore sur des appareils mobiles — téléphone intelligent ou tablette munis d’une application de AR.
Avec un appareil mobile, il suffit de pointer l’objectif de l’appareil photo vers une zone de l’environnement ou un objet qui s’y trouve pour que l’application affiche à l’écran les éléments virtuels en lien. Avec un casque ou des lunettes, les éléments virtuels sont projetés à travers l’écran du dispositif lorsque l’utilisateur arrive dans une zone déterminée ou qu’il interagit par des signes des doigts ou avec des accessoires dotés de capteurs.
Comme la VR, la AR a de multiples applications : de l’univers du jeu vidéo – le jeu Pokémon GO étant le plus connu —, jusqu’à celui du tourisme — pensons aux visites dans les musées —, en passant par la construction, la médecine, la formation et bien d’autres. Plus présente jusqu’ici dans les milieux professionnels, elle commence à rejoindre le grand public, comme c’est le cas avec l’application Place d’IKEA, qui permet depuis l’automne 2017 de visualiser sur un téléphone intelligent ou une tablette du mobilier IKEA dans son chez soi. La AR a connu un grand essor au cours de la décennie 2010. Au chapitre des modèles les plus innovants — mais qui s’adressent au marché de niche des développeurs, vu leur usage et leur prix (plus de 2 000 dollars) —, mentionnons la HoloLens de Microsoft et la Magic leap One dont les premières versions sont sorties respectivement en 2017 et 2018. Ces deux années marquent aussi la sortie des plateformes ARKit d’Apple et ARCore de Google qui offrent aux concepteurs des outils pour créer de nouvelles applications intégrant la AR.
On utilise parfois le vocable réalité mixte (RM) pour désigner cette version améliorée de la AR, soit celle des casques et lunettes qui, grâce à leurs capteurs, prennent en compte l’espace réel et la position de l’utilisateur, lui permettant d’avoir une interaction physique avec les éléments virtuels qui s’ajoutent à son environnement réel. Le terme « réalité mixte » est aussi utilisé pour certains casques de VR qui sont développés sur la plateforme Windows Mixed Reality. Ces casques procurent toutefois bel et bien une expérience de VR et non pas de AR.
Quel avenir pour la VR?
Le dynamisme dont les constructeurs de VR font preuve depuis le début de la décennie 2010 a certes stimulé l’innovation dans ce domaine et commencé à amener cette technologie vers le grand public. En contrepartie, le nombre trop élevé de constructeurs a conduit le marché à se fragmenter, la plus grande part du gâteau se partageant entre les trois géants que sont HTC, Oculus et Sony. De plus, ces derniers ayant chacun développé un langage informatique distinct pour les contenus de VR qu’ils produisent, les autres développeurs de contenus et les éditeurs sont contraints à adapter leur code, autrement dit à produire en trois versions chacun de leurs jeux ou expériences interactives.
Les opinions sont partagées quant à la capacité de la VR de sortir de sa niche. Alors que Mark Zuckerberg espérait en 2014 qu’elle parvienne à conquérir un jour un milliard d’utilisateurs, on est encore loin de la coupe aux lèvres. Plusieurs acteurs du milieu, y compris le patron de Facebook, considèrent toutefois normal que son adoption suive un cycle lent, de 5 à 10 ans, similaire à ce qu’a connu le téléphone intelligent. Le prix toujours relativement élevé (quelques centaines de dollars) des modèles les plus attrayants, et le manque de contenus de qualité susceptibles d’intéresser monsieur et madame Tout-le-Monde semblent être deux freins majeurs à son adoption massive.
C’est que pour l’instant, à la différence du téléphone intelligent, il s’agit avant tout aux yeux d’une majorité de consommateurs d’une technologie de divertissement. À ce propos, la domination du PlayStation VR de Sony au palmarès des ventes en 2018 en amène certains à déduire qu’elle est « de plus en plus considérée comme étant dédiée aux jeux vidéo ». D’autres, au contraire, constatent qu’elle est en train de se tailler une place dans des secteurs divers comme celui de la formation — pour mettre à jour un grand nombre des travailleurs comme le fait Wallmart ou Volkswagen —; de l’immobilier — pour la visite virtuelle de propriétés; ou de la médecine — pour traiter des phobies ou pour exercer les professionnels comme cela se fait en sciences infirmières à l’UdeM et comme cela est en voie de se faire à l’UQAR.
La VR finira-t-elle ou non par se démocratiser? par entraîner une révolution? Pour y voir plus clair, l’édimestre techno de Radio-Canada Karl-Philippe Vallée s’est entretenu avec l’américain Kent Buy, créateur de Voices of VR podcast, qui a interviewé plus de 750 pionniers de la VR et qui clos toutes ses entrevues par la question « Quel est le plus grand potentiel de la réalité virtuelle? ». « En discutant avec Kent Bye, explique M. Vallé, on comprend vite pourquoi il n’en démord pas avec sa question : personne n’a la même opinion sur ce sujet. Mais qu’il parle à des médecins, à des architectes, à des concepteurs de jeux vidéo ou à des journalistes, tous y perçoivent une petite révolution, un chamboulement à venir dans leur domaine. » Quant à M. Bye, son idée est faite : « Je pense que ça va changer la société comme la presse de Gutenberg l’a fait […]. »
Le temps finira par nous dire si la VR a sa place dans notre réalité quotidienne. Si elle a encore des défis à relever, il serait néanmoins surprenant de la voir s’éteindre, vu le rythme où se succèdent les innovations en technologie numérique et vu le fait qu’elle a déjà commencé à démontrer son utilité dans des domaines fort diversifiés. Ainsi, si elle ne devient pas une technologie de divertissement massive, il y a de fortes chances que la VR entre dans notre quotidien par la porte d’en arrière : en améliorant notre qualité de vie de façon indirecte, mais non pas moins importante.
Des applications diversifiées
La majorité des acteurs du milieu de la VR souhaitent que celle-ci soit utilisée massivement et dans tous les secteurs qu’elle peut servir. Plusieurs milieux ont d’ailleurs commencé à y recourir. C’est le cas des domaines la santé, de la sécurité, de la culture, du tourisme, de l’immobilier, de l’architecture et de la formation, pour ne nommer que ceux-là.
En formation, la VR est particulièrement utile pour les activités professionnelles pouvant s’avérer dangereuses pour soi ou pour les autres — manipuler des substances chimiques ou s’exercer à la chirurgie, par exemple — ou qui se pratiquent dans un lieu difficilement accessible — comme une centrale nucléaire. La VR permet aussi de former de manière plus simple et efficace un grand nombre de professionnels qui travaillent dans des milieux complexes à reproduire; l’UdeM y recourt justement pour former des cohortes d’infirmiers et d’infirmières en soins à domicile.
Remédier à la cybercinétose
Le monde de la VR n’a commencé à reconnaître collectivement qu’au cours des cinq dernières années les problèmes de confort liés à leur technologie et à y chercher des solutions. Le principal problème est la cinétose ou « cybercinétose », qui se manifeste par des maux de tête et de la nausée. Il s’agit d’un mal du mouvement (mal des transports) causé par une discordance entre la perception visuelle et le système vestibulaire, cet organe situé dans l’oreille interne qui intervient dans notre perception de l’équilibre et du mouvement.
Plusieurs stratégies ont été déployées pour contrer le problème dont : limiter les mouvements saccadés dans les scénarios, intégrer la « téléportation » en passant instantanément d’une scène à l’autre, rajouter un nez virtuel (faux nez) au milieu de l’écran, ou même utiliser un tapis roulant adapté à cette fin. Puisque la sensibilité à la cinétose est très variable d’une personne à l’autre, ces mesures ne fonctionnent pas pour tous. Toutefois, il semble qu’une immersion répétée en VR finisse par désensibiliser certains utilisateurs à ce genre de maux. Une entreprise française du nom de Virtualis recourt d’ailleurs à la VR pour traiter la cinétose…
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