Au cours des dernières décennies, les neurosciences ont commencé à confirmer ou infirmer certaines hypothèses que nous avions sur le fonctionnement du cerveau, en plus de nous mener sur de nouvelles pistes de connaissances. Vu la complexité de ce fascinant organe, nous n’en sommes qu’au début de cette exploration prometteuse. Grâce à l’imagerie cérébrale, nous en savons toutefois un peu plus sur certaines de ses particularités aux différents temps de la vie et sur leurs liens avec l’apprentissage. Les voici!

Tout au long de la vie : un cerveau flexible

Plasticité cérébrale. On a longtemps pensé que le développement du cerveau avait lieu principalement avant la naissance dans le ventre de la mère et durant la petite enfance, et qu’il était largement sous la gouverne de facteurs génétiques. C’était avant que l’on découvre la plasticité cérébrale, cette extraordinaire capacité qu’a le cerveau à évoluer et à s’adapter à tout âge. Au niveau neuronal, celle-ci se traduit par des connexions qui se créent ou se renforcent, d’autres qui s’affaiblissent ou s’éliminent modifiant ainsi à la fois l’architecture et le fonctionnement du cerveau. Le moteur de ce processus dynamique est l’activité cognitive, notamment l’apprentissage. Ainsi, même à l’âge adulte, apprendre serait le moyen par excellence pour améliorer ou maintenir nos capacités cognitives, ou encore pour ralentir leur déclin.

Bien entendu, la plasticité n’est pas le seul facteur qui entre en jeu dans le développement et les performances du cerveau. Des facteurs génétiques sur lesquels nous n’avons soit aucun contrôle soit un contrôle limité sont aussi à prendre en compte. Sur ce plan, la contribution des neurosciences est fort bienvenue que ce soit pour aider à mieux les identifier, les diagnostiquer, les comprendre et si possible intervenir sur eux. La dyslexie, la dyscalculie et la démence, communément désignées comme les « 3 D », sont les problèmes connus d’ordre neurologique qui ont un impact sur l’apprentissage ou la cognition et pour lesquels les neurosciences ont jusqu’à maintenant le plus contribué en matière de diagnostic ou de remédiation.

Automatisation et inhibition cognitive. L’automatisation et l’inhibition cognitive sont deux mécanismes d’apprentissage neurocognitif complémentaires (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps et Les 3 vitesses de la pensée). L’imagerie cérébrale nous a révélé qu’elles sont présentes non seulement chez l’adulte, mais aussi chez l’enfant. L’automatisation est l’aboutissement du processus d’apprentissage, le fait qu’à force de répétitions et de pratique nos connaissances passent d’un traitement conscient à un traitement automatique. Et une fois qu’un apprentissage est automatisé, le cerveau est libre pour passer au prochain.

Quant à l’inhibition cognitive, on l’appelle parfois « désautomatisation » puisque la dynamique cérébrale qu’elle sous-tend va dans le sens contraire de celle de l’automatisation. Comme le décrit le neuroscientifique québécois Steve Masson, l’inhibition est cette « capacité du cerveau à contrôler des intuitions, des stratégies ou des habitudes spontanées en relâchant des neurotransmetteurs inhibiteurs qui viennent nuire à l’activation des réseaux de neurones responsable de ces intuitions, stratégies ou habitudes ». Cette capacité est essentielle pour permettre des apprentissages qui, au premier abord, vont à l’encontre de ce qui nous semble logique. Cela s’explique par le fait que certains apprentissages réalisés plus tôt dans notre vie seraient si fortement imprimés dans notre cerveau qu’à défaut de pouvoir être effacés ils doivent être inhibés. Une étude de Masson et ses collègues (2014) a montré que le cerveau d’étudiants en sciences recourait à ce mécanisme inhibiteur pour pouvoir donner des réponses valides scientifiquement à des questions portant sur des notions non scientifiques couramment véhiculées.

L’enfance : temps des premières

Période « sensible » pour certains apprentissages. Bien que le cerveau se modifie toute la vie durant, l’enfance est une période durant laquelle il est au sommet de son efficacité pour certains apprentissages. C’est le cas dans la petite enfance pour les apprentissages impliquant des stimuli sensoriels, dont les sons et le langage, ainsi que pour certaines expériences riches sur les plans émotionnel et cognitif.

Recyclage neuronal. Plus tard, l’acquisition de nouvelles compétences « culturelles » – le calcul ou la lecture notamment – commencera à donner lieu dans la tête du jeune enfant à un « recyclage neuronal », processus par lequel l’architecture préexistante de certaines régions cérébrales est modifiée lors de l’apprentissage pour que se mettent en place les nouvelles compétences. Par exemple, dans l’apprentissage de la lecture le jeune cerveau recourt aux architectures existantes que sont les réseaux de reconnaissance des objets, de compréhension orale ainsi que de ceux associés à la production de la parole et au sens des mots. Toutefois, des connexions neuronales liées à la reconnaissance des objets devront être modifiées puisque les lettres et les mots sont des « objets » qui n’ont encore jamais été traités. Ensuite, pour que l’enfant finisse par comprendre le sens des mots, des connexions devront s’établir entre les réseaux « recyclés » de reconnaissance des objets et la région correspondant au sens des mots qu’il a commencé à acquérir en apprenant à parler.

Premières contraintes. Des premières contraintes apparaissent aussi dans le processus d’apprentissage. Alors que le jeune cerveau qui n’a pas encore appris à lire ne tient pas compte dans sa reconnaissance des objets de l’orientation de ceux-ci, il lui faudra un surcroît d’effort pour en venir à distinguer les lettres b, d, p et q. Le recyclage neuronal vaut aussi pour l’apprentissage des chiffres. Même si bébé a déjà un sens des nombres lui permettant d’évaluer intuitivement les quantités — en sachant faire la différence, par exemple, entre deux objets ou une douzaine —, pour apprendre les chiffres arabes et éventuellement la géométrie, le cerveau de l’enfant devra se mettre au recyclage neuronal.

L’adolescence : Pleine puissance, mais manque de contrôle

Connexité accrue. Période de mutations spectaculaires tant sur le plan physique que psychologique, l’adolescence est sous la loupe des neurosciences une période où le cerveau atteint un fort potentiel cognitif. La « connexité » s’accroît, alors que la matière blanche composée d’axones, ces câbles de communications reliant les neurones, augmente de volume.

Cortex préfrontal immature. En parallèle de cette potentialité cérébrale qui se déploie, le cortex préfrontal — siège du contrôle exécutif, du raisonnement et de la prise de décision — est cependant loin d’être parvenu à maturité… ce qui ne survient que vers l’âge de 30 ans. Ajoutons à ce manque de contrôle qu’une quantité accrue d’hormones se retrouvent dans le cerveau et l’on comprend mieux pourquoi cette période de la vie, aussi effervescente soit-elle, comporte son lot d’instabilité (voir L’importance des émotions dans l’apprentissage).

L’âge adulte : plus de contrôle… et d’erreurs

Cortex préfrontal mature. Le cortex préfrontal est l’une des dernières régions de cerveau à parvenir à maturité. Ainsi, les adultes ont un meilleur contrôle que les enfants et les adolescents sur leur apprentissage.

Connexions bien établies. À l’âge adulte, les connexions neuronales sont bien établies. Autrement dit, les neurones analysent, transmettent et gardent l’information en mémoire tout en structurant des réponses adaptées. Si on les compare aux enfants, chez qui les connexions ne sont pas encore aussi fortes et définies, on peut dire des adultes qu’ils sont plus efficaces sur le plan cognitif. En contrepartie toutefois, puisque leurs habitudes sont bien ancrées, leurs erreurs sont plus difficiles à corriger.

Activité cérébrale réduite. La maîtrise d’une tâche qui résulte de connexions neuronales bien établies va de pair avec un niveau d’activité cérébrale plus faible. Le hic, c’est qu’en étant moins activé le cerveau tend à décliner, un facteur qui s’ajoute à son déclin normal — ou accéléré par des pathologies neurologiques notamment — lié au vieillissement. Rappelons que l’apprentissage semble être jusqu’à maintenant le meilleur antidote pour maintenir nos facultés cognitives le plus longtemps possible ou à tout le moins limiter leur déclin.

Sources
Noémie DUFORT, Les neurosciences en éducation [Dossier thématique], Réseau d’information pour la réussite éducative, 2020.
Olivier HOUDÉ, Mieux connaître le développement de l’intelligence chez l’enfant. Le rôle clé de l’inhibition cognitive, Le Réseau EdCan, 2015.
Steve MASSON, Mieux connaître le cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner?, Le Réseau EdCan, 2014.
Masson et al., Differences in Brain Activation Between Novices and Experts in Science During a Task Involving a Common Misconception in Electricity, 2014.
OCDE, Comprendre le cerveau : naissance d’une science de l’apprentissage : Nouveaux éclairages sur l’apprentissage apportés par les sciences cognitives et la recherche sur le cerveau, Éditions de l’OCDE, Paris, 2007.
Vinita SRIVASTAVA, Comment les neurosciences peuvent améliorer l’éducation, The Conversation, 2015.

Limites et possibilités neuroscientifiques

Il faut apporter quelques précisions quant aux limites des neurosciences, notamment de sa technologie de prédilection qu’est l’imagerie cérébrale fonctionnelle (IRMf). Bien que celle-ci ait permis de constater que l’apprentissage modifie bel et bien le cerveau en nous montrant qu’il s’active lorsque des tâches cognitives sont en cours, l’IRMf ne nous révèle pas explicitement de quelles manières les compétences se mettent en place, pas plus qu’elle ne permet à l’heure actuelle de prédire ou de diagnostiquer un trouble d’apprentissage.

Il faut donc se méfier des approches simplistes qui, sous une étiquette neuroscientifique, véhiculent en fait des neuromythes, dont font partie les styles d’apprentissage, les intelligences multiples, la dominance cerveau gauche ou droit, l’idée que l’on utiliserait que 10 % de notre cerveau, etc. (voir L’éducation à travers le prisme des neurosciences et  3 mythes qui vous empêchent d’apprendre).

Cela dit, les méthodes utilisées en neurosciences — qui sont, par ailleurs, en constante évolution — permettent d’observer les différences interindividuelles dans l’anatomie et le fonctionnement du cerveau. Et si elles ne fournissent pas toutes les clés du processus d’apprentissage, en révélant certains mécanismes cérébraux en jeu, elle permet notamment d’établir la causalité d’intuitions sur des sujets déjà connus en éducation et de participer à développer des approches efficaces, y compris pour les troubles d’apprentissage. Les neuroscientifiques tentent notamment de comprendre avec plus de finesse les meilleurs moments pour faire différents types d’apprentissage, le traitement du langage et des mathématiques, l’influence de l’environnement et des outils, ainsi que le développement et la régulation des émotions.

Catherine Meilleur

Auteure:
Catherine Meilleur

Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.