Pour faire court : nous ne sommes malheureusement pas aussi bons que nous le pensons…
Au cours des dernières années, quelques recherches nous ont en effet permis de mieux discerner le vrai du faux concernant nos capacités à accomplir plusieurs tâches en même temps. Voici les plus éclairantes.
Clignement attentionnel
En 2005, Sergent, Baillet et Dehaene ont levé le voile sur les mécanismes cérébraux impliqués dans le clignement attentionnel, un phénomène — comparable au clignement des yeux — d’interruption temporaire, inconsciente et répétitive de notre attention. Or, ce clignement attentionnel fait en sorte que lorsque notre attention passe rapidement d’une tâche à une autre, nous sommes plus susceptibles d’échapper des informations que lorsque nous sommes concentrés sur une seule tâche. Ces chercheurs ont calculé qu’au moins 0,25 seconde est nécessaire pour que le cerveau enregistre et manipule les informations sensorielles nécessaires à l’accomplissement de chacune des tâches.
On utilise le terme « flexibilité attentionnelle » pour désigner cette capacité à engager, désengager puis réengager facilement son attention notamment entre deux tâches. Une personne peut souffrir d’un problème d’attention à l’un ou plusieurs de ces trois différents niveaux d’engagement.
Double-tâche observée en neuroimagerie
Après avoir observé par neuroimagerie l’activité cérébrale d’une trentaine de participants volontaires s’adonnant à une activité multitâche, les chercheurs de l’Inserm Sylvain Charron et Étienne Koechlin (2010) ont conclu que le cerveau n’était pas en mesure d’accomplir efficacement plus de deux tâches à la fois. C’est qu’ils ont constaté que lorsque le cerveau travaille à une tâche, les deux lobes frontaux s’activent, mais dès lors qu’une seconde tâche entre en jeu, il divise le travail de sorte que chaque lobe traite l’une des deux tâches de façon indépendante. Puisque dans ce système cérébral une tâche se traduit comme un objectif – impliquant les mécanismes de motivation et de récompense –, le cerveau peut donc poursuivre deux objectifs concurrents en même temps, mais pas plus. Par ailleurs, tenter d’accomplir plus d’une tâche serait plus énergivore pour le cerveau, selon Earl Miller, spécialiste en attention divisée au MIT.
Notons que dans l’expérience de Charron et Koechlin, les participants qui devaient accomplir une troisième tâche en oubliaient une à répétition, en plus de commettre trois fois plus d’erreurs qu’en jonglant avec deux tâches. Selon les chercheurs, ce fonctionnement pourrait non seulement expliquer pourquoi il nous serait plus facile de faire un bon choix lorsque nous n’avons que deux options, mais également éclairer le fait que nous prendrions des décisions irrationnelles lorsque nous nous retrouvons devant plus de deux choix…
Possible troisième tâche
L’éclairage apporté par l’étude de Charron et Koechlin ne serait toutefois que partiel selon le neuroscientifique Scott Huettel de l’Université Duke, qui salue néanmoins sa contribution, alors que nous en savons peu sur la façon dont les hémisphères du cerveau s’organisent. D’après Huettel, il est envisageable que l’on puisse traiter plus de deux tâches simultanément, mais cela dépendrait de la nature de celles-ci, comme il l’explique en entrevue : « [L’expérience de Charron et Koechlin] montre qu’il y a des conditions dans lesquelles on ne peut pas ajouter une troisième tâche, mais cela dépend du type de tâche et si celle-ci fait appel à d’autres parties du cerveau. Par exemple, les gens sont remarquablement doués pour manger tout en faisant d’autres choses, dit-il, parce que les aptitudes motrices pratiquées pour manger ne se chevauchent pas trop avec celles qui interprètent les indices visuels, contrôlent le langage ou exécutent d’autres processus complexes. »
Plus de sollicitation, plus d’erreurs
Une étude menée auprès d’urgentologues (Skaugset et al., 2016), des professionnels qui doivent faire des changements de tâches rapides dans un environnement où les interruptions sont fréquentes, a conclu qu’à moins que les tâches ne soient devenues complètement automatisées par le cerveau, plus ce dernier est sollicité, plus le risque d’erreurs augmente. Il est vrai qu’à force de pratique régulière, une tâche en vient à être « automatisée » demandant ainsi beaucoup moins d’attention pour être réalisée (Ait Khelifa-Gallois, 2014; Raz et Buhle, 2006).
Sur une note complémentaire à l’étude de Skaugset et ses collègues, mentionnons que 25 minutes sont nécessaires au cerveau pour qu’il focalise à nouveau sur une tâche à la suite d’une distraction, alors que le travailleur moyen ne disposerait que de 11 minutes entre chaque interruption (Mark et al., 2008).
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