Apparu dans les années 1960, le terme « neurosciences » désigne l’étude scientifique du système nerveux, dont fait partie notre fascinant cerveau, depuis ses aspects les plus élémentaires comme ses molécules et ses cellules jusqu’à ses dimensions intégratives qui sous-tendent nos fonctions cognitives et comportementales. Bien qu’il reste encore beaucoup à découvrir, des pas de géants ont été faits dans ce domaine au cours des dernières décennies. Pour apprécier le chemin parcouru, rien ne vaut un retour sur quelques jalons qui ont marqué cette histoire.
La technique de coloration qui change tout. Dans les années 1830, les travaux des scientifiques allemands Matthias Jakob Schleiden et Theodor Schwann donnent une assise à la théorie qui sera le fondement de la biologie, la théorie cellulaire, qui présente la cellule comme étant l’unité structurale et fonctionnelle de tout organisme vivant. On ne parvient toutefois pas à colorer les tissus du cerveau comme on peut le faire pour les autres tissus du corps, ce qui empêche les scientifiques de vérifier s’il répond lui aussi à la théorie cellulaire.
C’est au médecin italien Camillo Golgi que l’on doit de découvrir en 1873, de façon inopinée, comment colorer les neurones et leur prolongement arboré permettant ainsi de les observer au microscope. La découverte en question, appelée « réaction noire » par Golgi, est une réaction chimique qui finira par porter le nom de coloration ou méthode « de Golgi » ou « du nitrate d’argent ». On ignore pourquoi, mais cette réaction chimique ne colore qu’une faible proportion des neurones, ce qui permet de bien voir les contours des cellules qui réagissent, celles-ci ne se chevauchant pas. La technique du médecin italien est cependant difficile à réaliser et c’est le neuroanatomiste et histologiste espagnol Santiago Ramon y Cajal qui réussit à la standardiser quelques années plus tard, ce qui lui permet de produire à partir de ses observations des milliers de dessins donnant pour la première fois une idée du fonctionnement du cerveau.
La contribution colossale de Cajal. Après avoir amélioré le procédé de la réaction noire, le neuroanatomiste et histologiste espagnol est en mesure de confirmer que les extrémités des neurones sont bel et bien libres. C’est un premier pas vers ce qui deviendra la théorie du neurone voulant que ces cellules représentent l’unité structurelle et fonctionnelle de base du système nerveux. Cette théorie fondamentale est raffinée à la fin du 19e siècle par l’anatomiste allemand Heinrich Wilhelm Waldeyer, à qui l’on doit le terme « neurone », et elle prendra éventuellement le dessus sur la théorie concurrente à l’époque, la théorie réticulaire, qui présente le système nerveux comme un seul réseau continu.
En plus d’illustrer avec justesse les trois parties morphologiques du neurone (le corps cellulaire, les dendrites et l’axone), Cajal en décrit les différents stades de croissance et énonce les principes de base de la théorie neuronale; il entrevoit notamment que le mode de communication entre neurones se fait par contact impliquant un signal nerveux. C’est le physiologiste anglais Charles Sherrington qui donne à la connexion entre deux neurones le nom de « synapse » en 1887, mais son fonctionnement est élucidé au milieu de 20e siècle par le biophysicien anglais d’origine allemande Bernard Katz. En recourant au microscope électronique en transmission qui permet d’observer des éléments plus petits que des cellules, Katz constate que c’est à l’aide d’un message chimique, soit par la libération de neurotransmetteurs que se transmet l’influx nerveux d’un neurone à un autre, autrement dit, que les neurones communiquent entre eux.
1906 : le Nobel de la controverse. Avant que l’on reconnaisse la théorie du neurone, c’est la théorie réticulaire de von Gerlach énoncée en 1871 qui domine, avançant que le cerveau est constitué d’un seul réseau de fibres et de cellules fusionnées dans lequel naît et circule la pensée. En 1906, Golgi et Cajal reçoivent tous deux le Nobel de physiologie pour leurs travaux respectifs sur le système nerveux. Lors de la cérémonie, Golgi s’en prend à son confrère lui reprochant de défendre l’idée que le système nerveux est fait de cellules distinctes et non d’un réseau unique et continu.
Cet événement sera la bougie d’allumage d’une controverse qui s’étendra sur plusieurs années entre les tenants de la théorie réticulaire et ceux de la théorie neuronale. Les « neuronistes » finissent par l’emporter dans les années 1920-1930, alors que les travaux sur les fonctions des neurones des deux scientifiques anglais Charles Sherrington et d’Edgar Adrian confirment l’idée que le neurone est non seulement l’unité anatomique de base du système nerveux, mais aussi son unité fonctionnelle centrale. Mentionnons que leurs travaux valent à Sherrington et Adrian le Nobel de médecine ou physiologie en 1932.
Imagerie médicale, nouvelle ère en neurosciences. Nos connaissances sur le cerveau font un grand bond dans les années 1990 avec l’avènement de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de visualiser en direct et sans danger sa structure et son fonctionnement. Cette avancée a notamment confirmé que le cerveau possède cette extraordinaire capacité d’évoluer et de s’adapter à tout âge, une caractéristique appelée plasticité cérébrale (ou neuronale) ou neuroplasticité. Ayant comme moteur l’activité cognitive, la plasticité cérébrale se traduit par le fait que des connexions neuronales se créent ou se renforcent, d’autres s’affaiblissent ou s’éliminent, ce qui modifie à la fois l’architecture et le fonctionnement du cerveau.
Ce chapitre moderne dans l’histoire des neurosciences a aussi levé le voile sur les principaux mécanismes et facteurs à l’œuvre dans l’apprentissage (voir Neurosciences : apprendre en 4 temps) ainsi que sur la nature de certains problèmes d’ordre neurologique, dont la dyslexie, la dyscalculie et la démence, communément désignées comme les « 3 D ». Précisons que divers appareils sophistiqués, comme les systèmes de suivi oculaire ou les électroencéphalographies, se sont ajoutés à l’IRMf pour décoder plus finement nos méninges. C’est sans compter que depuis 2019, le domaine des neurosciences dispose d’un ajout de taille : l’appareil d’IRM le plus puissant du monde qui permet d’obtenir des images de notre matière grise 100 fois plus précises qu’un IRMf classique. De la taille d’un immeuble de cinq étages, le cylindre géant est situé en France au centre NeuroSpin, dirigé par le neuroscientifique Stanislas Dehaene.
Il n’y a pas que les neurones… Grâce aux progrès technologiques en neurosciences, on sait par exemple qu’il existe plus de 1000 types de neurones différents. On sait aussi que les neurones ne sont pas les seules cellules cérébrales à mériter notre attention. Depuis le début des années 2000, avec les microscopes sophistiqués développés pour la biologie moléculaire, les scientifiques peuvent voir à l’œuvre les cellules gliales (ou la glie) qui environnent les neurones. Pour 85 millions de neurones, notre cerveau compte 100 millions de cellules gliales, et les chercheurs ont pu constater qu’elles ont un rôle beaucoup plus important qu’on le croyait. Réparties en trois groupes, elles peuvent soit fabriquer la myéline, cette gaine qui protège les neurones, soit défendre les fonctions immunitaires du système nerveux ou encore travailler au support, à la nutrition et à la protection des neurones. Ce nouveau champ d’exploration incite d’ailleurs certains neuroscientifiques à prévoir qu’une nouvelle conception du cerveau, moins centrée sur les neurones et faisant une plus grande place à leurs cellules voisines, pourrait bientôt voir le jour.
Sources :
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Le cerveau à tous les niveaux – McGill
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Universalis.fr
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« L’histoire du développement des neurosciences » dans Sciences et Avenir, Les indispensables no206, juillet/septembre 2021.
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Céline Paillette, Pascal Griset et Yves Agid,Histoire du cerveau et des neurosciences : repères historiques (XIXe-XXesiècles) – Une introduction générale, Med Sci, Paris, Volume 37, Number 8-9, Août–Septembre 2021.
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Joelle M. Abi-Rached et Nikolas Rose, « Historiciser les neurosciences » dans Neurosciences et société : enjeux des savoirs et pratiques sur le cerveau, Armand Colin, Paris, 2014 : 51–77.
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Jean-Gaël Barbara, « La controverse Cajal – Golgi : Stockhol, 1906 ». Morphologie, Elsevier Masson, 2009. ffhal-03110658f
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Auteure:
Catherine Meilleur
Rédactrice de contenu créatif @KnowledgeOne. Poseuse de questions. Entêtée hyperflexible. Yogi contemplative
Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.
Bonsoir,
Je découvre votre site et je voulais juste vous dire un grand bravo pour la qualité des informations que vous présentez.
Je suis neuroscientifique, coach et praticienne mindfulness, et je propose des formations en neurosciences pour les coachs et écoles de coaching francophones – notamment au Canada.
Je serais ravie d’échanger avec vous si le coeur vous en dit également!
Cordialement,
Monique
Un grand merci pour vos bons mots Monique!
Au plaisir!