8 h. Le réveil sonne pour la troisième fois depuis 7 h du matin. Votre tapis de yoga légèrement émietté vous nargue depuis le coin de la pièce. Sur votre téléphone, les yeux encore à moitié endormis, l’actualité quotidienne de la pandémie se mêle aux joyeux influenceurs d’Instagram. La lumière douce de votre fenêtre annonce une autre journée nuageuse. Un nouveau jour commence. Sommes-nous lundi ou mercredi?

13 h. Assis devant l’ordinateur, vous fixez votre boîte de réception toujours plus grande ou votre pile de travail. Un sentiment de crainte grandit dans votre poitrine. Ce n’est pas que la tâche soit difficile, c’est simplement que toutes vos bonnes idées sont maintenant comme des trésors enfouis dans un épais brouillard. Avec les distractions constantes, se concentrer sur une tâche ressemble à un combat permanent contre soi-même. Au téléphone, un ami vous demande comment se passe votre journée.

« Je vais bien – et toi ? »

18 h. « Qu’est-ce qu’on mange ? » est la question qui dicte votre journée. Après le dîner, une fois que les enfants sont endormis ou que l’ordinateur de travail est éteint, vous rejoignez le canapé et regardez votre émission préférée. Enfin, vous pouvez vous abandonner complètement. Vous savez que vous devriez aller dormir, mais le prochain épisode est déjà en route.

Au fait, peut-être qu’aujourd’hui c’était dimanche.

Depuis la publication d’un récent article du New York Times, nous pouvons désormais nommer ce sentiment bien connu qui perdure certains jours ces temps-ci : la langueur. Selon l’auteur Adam Grant, « la langueur est un sentiment de stagnation et de vide. On a l’impression d’avancer à tâtons dans la journée, de regarder sa vie à travers un pare-brise brumeux. Et c’est peut-être l’émotion dominante de 2021. »

Le sociologue Corey Keyes décrit dans son article (en anglais seulement) que le danger de se morfondre est que la plupart des gens ne sont pas conscients que ces symptômes peuvent éventuellement conduire à une dépression majeure et à des troubles anxieux s’ils ne sont pas reconnus et traités.

Compte tenu du contexte mondial actuel combiné à l’augmentation du temps passé devant l’écran et à l’isolement social, de nombreuses personnes sont particulièrement vulnérables à la langueur prolongée. Les étudiants font partie de ce groupe. Une recherche (en anglais seulement) menée aux États-Unis publiée en 2020 a révélé que sur les 195 étudiants universitaires ayant participé à l’étude :

  • 89 % ont déclaré avoir des difficultés à se concentrer;
  • 86 % ont déclaré des perturbations dans leurs habitudes de sommeil et;
  • 82 % avaient des inquiétudes accrues quant à leurs résultats scolaires.

Cependant, comme le soulève Adam Grant, il existe un antidote à la langueur. Il s’appelle le flow ou moins couramment en français, le flux.

Comme décrit dans notre article La motivation : moteur d’engagement en apprentissage :

« Le flow désigne un état psychologique de profond bien-être, de concentration et de motivation intenses, qui est atteint lorsqu’une activité constitue un défi perçu comme étant égal ou légèrement supérieur aux habiletés que l’on possède. »

Le concept du flow est bien connu, notamment pour l’entraînement des athlètes et des musiciens. Lorsqu’ils sont profondément concentrés sur une tâche, certaines personnes ont déclaré être tellement immergées, presque en transe, que le temps semblait ralentir. Leur environnement, les bruits et les distractions s’estompaient en arrière-plan. Cet état peut procurer un grand sentiment d’accomplissement dans la réalisation d’une tâche ainsi qu’une pause de pensées intrusives. Tout le monde peut faire l’expérience de l’état de flow, en courant, en tricotant, en dessinant, en cuisinant ou même en jouant à son jeu vidéo préféré.

La conception de jeux est un autre domaine qui parle abondamment de l’état de flow. Lorsqu’ils créent des jeux, les développeurs s’efforcent de trouver la « zone idéale » pour les joueurs. Il s’agit de trouver un équilibre entre les capacités et les défis. Si les capacités sont trop élevées par rapport au défi, le joueur s’ennuie. Si le défi est trop élevé par rapport aux capacités du joueur, celui-ci sera anxieux ou abandonnera, fâché. Mais si vous affinez le parcours d’apprentissage en permettant aux joueurs d’exercer leurs capacités tout en augmentant lentement les défis, en les récompensant pour les petites et grandes victoires, il y a de plus grandes chances qu’ils atteignent la zone de flow. Et une fois que vous en avez fait l’expérience, ce sentiment peut devenir très addictif (dans le bon sens du terme).

Les jeux ont pour but de développer des compétences. Les concepteurs de jeux et d’expériences d’apprentissage se trouvent donc dans une position très similaire. La zone de flow est l’un des nombreux concepts utilisés dans la conception de jeux qui peuvent être appliqués lors de la conception d’un cours ou d’une formation. En tant que concepteurs d’expériences d’apprentissage, notre principal objectif est de faciliter l’apprentissage dans un environnement qui procure un sentiment de motivation, de progrès et, si j’ose dire, de plaisir. Il ne s’agit pas de détourner les apprenants de leurs objectifs, mais de faciliter leur processus d’apprentissage, leur accès à une zone de flow.

Cependant, comme le dit Adam Grant, « l’attention fragmentée est l’ennemi de l’engagement et de l’excellence ». Comme nous sommes constamment bombardés de notifications, de courriels, de nouvelles, notre attention est souvent interrompue. Lorsque les étudiants de l’université doivent s’asseoir devant des heures de contenu presque chaque jour sur un ordinateur, les défis pour rester concentré sont… eh bien, assez élevés. Et que se passe-t-il lorsque les défis sont plus élevés que les capacités? Anxiété et envie d’abandonner.

Même si les apprenants ne sont pas constamment immergés dans la zone de flow, nous pouvons toujours nous inspirer du concept et essayer de concevoir des manières engageantes de créer des cours ou des formations. Lorsque nous planifions le contenu, nous pouvons également réfléchir à différentes façons de le présenter de manière à ne pas submerger ou ennuyer les apprenants. Cela ne signifie pas que tout doit devenir facile, au contraire, il s’agit d’aider les apprenants à s’aider eux-mêmes.

Comme nous l’avons mentionné dans notre cours L’Odyssée des créateurs de jeux, voici quelques conseils que nous pouvons également appliquer à la conception d’expériences d’apprentissage :

Donnez aux apprenants l’espace pour réfléchir

  • Utilisez des métaphores pour donner des exemples supplémentaires à un concept nouvellement présenté. Surtout des exemples de la vie réelle auxquels les apprenants pourront s’identifier et qu’ils pourront intégrer à leur vocabulaire.
  • Utilisez des vidéos explicatives en alternance avec des lectures ou des conférences plus exigeantes. Cela aidera les apprenants à se détacher du contenu détaillé et à prendre un peu de recul. Vous en trouverez de nombreuses en ligne, ou vous pouvez essayer d’en réaliser une vous-même en utilisant PowerPoint!

Adaptez le parcours

  • Le déverrouillage progressif du contenu peut aider les apprenants à se concentrer sur de plus petits morceaux de contenu au lieu de voir le cours comme une grande montagne à gravir, ce qui réduit l’anxiété. Chaque morceau peut avoir son propre objectif de type mission, ce qui motive les apprenants à atteindre de petits objectifs réalisables.
  • Varier les types d’activités entre la théorie et la pratique. En accordant un moment d’ininterruption, par exemple en jouant à des mini-jeux en rapport avec votre contenu, les apprenants mettront en pratique leurs compétences dans un environnement similaire à une situation réelle, mais sans conséquence réelle.

Récompensez les apprenants

  • En donnant des badges ou des points bonus, les apprenants peuvent être motivés par des récompenses externes. Vous pouvez également suivre leurs performances en utilisant un tableau de classement (non obligatoire). Cela peut augmenter le sens de la compétition chez certains apprenants, ce qui représente une motivation interne qui aide à aborder les défis.
  • Laissez-les s’entraider (c’est aussi gratifiant)! Certains apprenants sont motivés par le mentorat d’autres apprenants, car cela leur donne le sentiment d’avoir un but. De plus, c’est un excellent moyen d’approfondir leur compréhension du contenu. S’ils peuvent le mémoriser, c’est bien, mais s’ils peuvent l’assimiler et l’expliquer à quelqu’un d’autre, c’est encore mieux!

Le terme « langueur » n’est pas nécessairement un mot ou un concept nouveau, mais utilisé dans notre situation actuelle, il prend un nouveau sens. Nous pouvons maintenant répondre notre « Je vais bien» avec quelque chose qui nous permet de déballer un peu plus notre bien-être mental. Le fait d’avoir un nom pour cela nous donne également de multiples solutions pour traiter les symptômes de langueur, comme atteindre l’état de flow. Ce dernier concept n’est pas non plus nouveau. Parfois, cependant, il est bon de nous rappeler les bienfaits d’un moment d’accomplissement ininterrompu et de petites victoires, surtout ces jours-ci.

Alors peut-être qu’au lieu de vous demander si aujourd’hui c’est dimanche ou pas, vous pourriez vous demander « Qu’est-ce qui pourrait me plonger dans le flow aujourd’hui? »

Alexandra Beauchemin

Auteure:
Alexandra Beauchemin

Conceptrice d’expériences d’apprentissage @KnowledgeOne |
Mentor en conception de jeux à l’école NAD

Alexandra Beauchemin est une conceptrice d’expérience d’apprentissage spécialisée dans l’utilisation de la gamification et des technologies XR dans les expériences d’apprentissage. Diplômée en communication et études culturelles de l’Université Concordia, elle se spécialise aussi en communication, design et recherche qualitative. Alexandra est titulaire d’une maîtrise de l’école NAD axée sur l’utilisation de la conception de jeu pour créer des expériences personnalisées et mémorables pour les joueurs.