Alors que des scientifiques viennent de cartographier le cheminement de la pensée dans le cerveau, l’engouement pour les neurosciences ne devrait pas fléchir. Comme de nombreux phénomènes « à la mode », il a fait l’objet de quelques dérives, le préfixe « neuro » ayant été utilisé à tort et à travers à des fins de marketing. En éducation toutefois, la jeune discipline qu’est la neuroéducation fait de plus en plus sa place. Quels sont les apports et les limites de cette avenue?
Gros plan sur matière grise
Apparue dans les années 90, l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf) a fait faire un grand bond à nos connaissances sur le cerveau, permettant de visualiser en direct et sans danger sa structure et son fonctionnement. C’est sans compter que l’imagerie cérébrale a apporté un avantage non négligeable pour la démarche même de la recherche en permettant d’observer l’apprenant à l’œuvre sans avoir à l’interrompre pour le questionner. Le tout permettant d’obtenir un portrait plus précis de de l’activité cognitive et affective du cerveau en apprentissage.
Des chercheurs ont dès lors pu mettre au jour les mécanismes cérébraux impliqués dans l’acquisition d’apprentissages scolaires tels la lecture et le calcul (Dehaene, 2007, 2011). Plus intéressant encore pour l’avancement des connaissances en éducation, comme le note Steve Masson, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et directeur du Laboratoire de recherche en neuroéducation (LRN), est le fait qu’on ne se limite plus au fonctionnement du cerveau : « … de plus en plus de chercheurs […] tentent aussi de comprendre comment ce fonctionnement se développe et comment les apprentissages peuvent influencer ce développement ».
Cela dit, il y a une autre raison, la plus importante selon M. Masson, d’examiner les liens entre cerveau et éducation et ce sont les contraintes que posent à l’apprentissage le fonctionnement et la structure de ce complexe organe. « Mieux connaître ces contraintes pourrait nous aider à comprendre pourquoi certains apprentissages sont particulièrement difficiles et à envisager des pistes pédagogiques pour surmonter ces difficultés », explique-t-il.
Virginia Penhune, professeure et chercheure en neurosciences à l’Université Concordia, ainsi que directrice du Laboratoire sur l’apprentissage moteur et la plasticité cérébrale nous confie pour sa part que « grâce aux neurosciences, on comprend mieux les réseaux cérébraux qui interviennent dans l’apprentissage, comment ils changent et se développent tout au long de la vie », ajoutant que ces connaissances sont cruciales pour créer de meilleurs environnements d’apprentissage.
Mentionnons que d’autres appareils sophistiqués, comme les systèmes de suivi oculaire ou les électroencéphalographies, se sont ajoutés à l’IRMf pour décoder plus finement nos méninges.
L’électroencéphalographie (EEG) est une méthode d’exploration cérébrale qui mesure l’activité électrique du cerveau par des électrodes placées sur le cuir chevelu souvent représentée sous la forme d’un tracé appelé électroencéphalogramme.
La neuroéducation s’est ainsi constituée comme un nouveau domaine de recherche qui examine les problématiques en éducation sur le plan cérébral, un angle d’analyse jusqu’alors inaccessible. Pour plusieurs neuroscientifiques, les enseignants et même les apprenants gagneraient à connaître les bases du modus operandi du cerveau. Un brin provocateur, le neuroscientifique français Stanislas Dahaene va jusqu’à dire qu’« il est stupéfiant que beaucoup d’enseignants connaissent mieux le fonctionnement de leur voiture que celui du cerveau ».
Mais est-ce juste de croire que cette connaissance aiderait réellement les uns à enseigner et les autres à apprendre? Selon un rapport (2007) de l’OCDE publié à l’issue de huit années d’enquête sur la question, ce serait bien le cas.
Gérer les craintes… et l’effet de mode
Dans le milieu de l’éducation, tous ne voient pas les neurosciences d’un bon œil. Certains craignent qu’elles relèguent au second plan les approches traditionnelles des sciences de l’éducation. D’autres appréhendent qu’elles génèrent des espoirs irréalistes, notamment en ce qui concerne les problèmes d’apprentissage. Interviewé par Le Devoir dans la foulée du 41e congrès de l’Institut des troubles d’apprentissage sur le phénomène « de mode » qui entoure les neurosciences, Steve Masson précisait que son rôle comme chercheur était « de voir ce qui est justifié dans cette tendance, tout en demeurant très rigoureux ».
Bâtir des ponts entre les sciences cognitives en général — dont font partie les neurosciences — et le milieu de l’éducation semble aussi primordial pour les neurochercheurs. Rappelant que ces sciences sont récentes, en pleine évolution et qu’elles restent à stabiliser, Stanislas Dahaene soutient qu’« il est nécessaire d’établir un dialogue permanent pour vérifier et valider dans les classes ce que les sciences cognitives peuvent dire d’un point de vue très général sur l’organisation du cerveau ». Il n’est donc pas question de rejeter des approches basées sur les théories de l’apprentissage — constructivisme, cognitivisme et cie — qui ont fait école… et fait l’école! L’objectif est plutôt de mettre à profit l’éclairage unique qu’offrent les neurosciences pour déterminer les approches pédagogiques les plus efficaces selon des données probantes. Il est, par ailleurs, fréquent que les neurosciences parviennent aux mêmes constats que d’autres méthodes de recherche, ce qui renforce leur valeur scientifique et donc la crédibilité même des sciences de l’éducation.
Mentionnons que la recherche novatrice en neurosciences est essentielle, non seulement pour faire avancer nos connaissances sur l’apprentissage, mais aussi pour améliorer le traitement des affections neurologiques. À cet effet, le gouvernement fédéral et la Fondation Brain Canada viennent d’annoncer une subvention de 10 millions de dollars pour développer une plateforme en vue d’aider les neurochercheurs à diffuser plus efficacement leurs données. Enfin, rappelons que les neurosciences et l’éducation n’en sont qu’au tout début de leur collaboration. Comme le souligne Virginia Penhune, « le cerveau est une vaste contrée et nous ne faisons que commencer à explorer sa complexité ».
Apports des neurosciences en éducation
Adultes et enfants : des cerveaux différents
D’entrée de jeu, mentionnons que les neurosciences ont permis de faire des constats encourageants en ce qui concerne la plasticité cérébrale : « Nous savons maintenant que le cerveau continue de changer toute la vie et qu’il peut faire de nouveaux apprentissages à tout âge », précise Virginia Penhune.
Les neurosciences ont permis de confirmer deux grandes distinctions entre le cerveau de l’adulte et celui de l’enfant; des distinctions qui ont une incidence sur notre manière d’apprendre au cours de la vie.
D’abord, les connexions neuronales ne sont pas bien établies chez l’enfant alors qu’elles le sont chez l’adulte. Notons que les neurones analysent, transmettent et gardent l’information en mémoire tout en structurant la réponse adaptée. On peut donc dire que les adultes sont plus efficaces, mais puisque leurs habitudes sont bien établies, les erreurs qu’ils commettent sont plus difficiles à corriger.
Ensuite, le cortex préfrontal, qui est le siège de plusieurs fonctions cognitives, dont le langage, le raisonnement et la mémoire de travail, est l’une des dernières régions de cerveau à parvenir à maturité. Ainsi, les adultes ont un meilleur contrôle que les enfants et les adolescents sur leur apprentissage.
Des pistes pour la formation aux adultes
Ces découvertes ont permis de dégager trois méthodes qui semblent efficaces pour l’apprentissage des adultes :
- La répétition
Puisque les connexions neuronales sont bien établies chez l’adulte, l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences résultera du développement de nouveaux réseaux de neurones. Ce processus progressif exige que l’information à intégrer soit répétée – idéalement de manière variée et stimulante. - La rétroaction négative
Elle consiste à faire un retour correctif à l’apprenant lorsqu’il commet une erreur. Cette technique engendre une activité cérébrale, entre autres dans le cortex préfrontal, alors que ce n’est pas le cas chez l’enfant. Il ne faut toutefois pas limiter l’enseignement aux adultes à cette seule technique, qui peut finir par être contreproductive. - L’enseignement par inhibition
Pour venir à bout des erreurs persistantes, l’apprenant est dans un premier temps averti qu’on lui présente des exercices qui comportent des pièges. Les exercices en questions visent à lui inculquer de se méfier des réponses incorrectes qu’il est pourtant tenté de donner. Au niveau cérébral, le but est d’empêcher les neurones de prendre le chemin habituel qui mène à l’ancienne notion erronée.
Les neuromythes
L’une des contributions les plus importantes des neurosciences à l’éducation est d’avoir révélé la très forte adhésion des enseignants à ce que l’on a appelé des neuromythes, qui consistent en des croyances erronées sur le fonctionnement du cerveau. Pour diverses raisons, ces hypothèses intuitives ont fini par prendre des airs de notions scientifiquement démontrées.
Les trois neuromythes les plus répandus portent sur : l’existence de styles d’apprentissage (notamment visuel, auditif et kinestétique), la dominance hémisphérique (cerveau gauche/cerveau droit) et l’effet d’exercices de coordination (sur l’intégration des fonctions des hémisphères). Pour en savoir plus : Tableau 1. Les neuromythes les plus fréquents chez les enseignants
L’apprentissage : un continuum
Comme le remarque Steve Masson, les approches classiques en éducation tendent à dire qu’un apprentissage est soit présent, soit absent. Dans la perspective de la neuroéducation, un apprentissage s’inscrit plutôt dans un continuum, puisque les connexions neuronales qui le sous-tendent s’établissent et se renforcent de manière progressive. Ainsi, un apprentissage peut être en train de se développer chez l’apprenant, bien qu’il ne soit pas encore manifeste.
salut
je découvre votre site, très instructif
Prendre partie contre l’apport des neurosciences en éducation serait le pendant d’un médecin qui refuserait l’apport de la biologie cellulaire et moléculaire à la médecine de peur que des médecines dites traditionnelles soient discréditées.
Bonjour Chantal,
Merci de votre commentaire.
Lorsque les neurosciences peuvent nous éclairer sur des aspects qui demeurent incompris en totalité ou en partie par les autres méthodes de recherche ou lorsqu’elles peuvent confimer ou infirmer certaines hypothèses, il semble en effet déraisonnable de se passer de leur apport.